Je suis sculpteur.

J’ai choisi la terre. La terre m’a choisie. Elle s’est imposée à moi comme une évidence.

D’elle, j’ai appris tous ses possibles. Je ne pouvais pas me confronter à un autre matériau. Un matériau dur, dense qui nécessitait un rapport de force physique dans les gestes. Avec la terre il y a une relation très souple, très sensuelle, très active. C’est un travail tout en douceur.

J’ai découvert la terre et la céramique Raku dans les années 80 à un moment donné où tous les éléments d’un puzzle s’assemblaient et déterminaient la suite de ma vie. J’ai alors appris à modeler, à travailler le bol, à appréhender cette matière vivante qu’est la terre. J’ai pris le temps nécessaire pour comprendre ses spécificités, ses lois, ses temps de séchage. Ce fut comme un long cheminement. Pendant plusieurs années, j’ai travaillé les terres rouges, polies, enfumées. C’était lié à différents voyages en Arizona et en Afrique. En 2006, j’ai senti que je n’avais plus rien à dire. Un cycle s’achevait, un autre pouvait commencer. Commencer par un abandon la couleur, j’avais besoin de blanc et de noir.

Avec une technique de carbonisation au crin de cheval. Une empreinte de crin sur du blanc, c’était comme un « Signe » d’Henri Michaux. Comme de la calligraphie ! Puis, progressivement, j’ai fermé mes volumes. Mes pièces sont devenues des sculptures. Certaines sont désormais totalement noires, comme encrées dans les ténèbres du carbone. Un noir animé par la matière, lisse ou texturée, pour que la lumière puisse œuvrer.

Ma nouvelle série s’appelle « contenir le vent ». Mes pièces ne sont plus là pour raconter une histoire. Désormais, je propose des formes abstraites, essentielles. Des formes épurées mais construites comme en architecture, par étapes. Une architecture qui a sa souplesse, ses courbes, son ventre. Dans mon travail, il y a toujours une relation au corps.

Lorsque je scelle le dernier morceau de terre d’une pièce, j’enferme l’air contenu. La terre devient alors une frontière vivante entre l’intérieur et l’extérieur. La poche d’air enfermée, sous pression, me permet de tendre les surfaces et les lignes. Mes mains exercent une pression sur les parois et déterminent la forme et le volume. L’air devient un allié pour bâtir ! L’artiste Francine Del Pierre parlait de l’utilisation respiratoire du creux. L’air est un élément à part entière de construction !

Mes pièces s’inscrivent dans une série, avec des volumes différents. On peut les voir couchées ou debout…  Elles reposent de façon légère, ancrées comme des morceaux de sol, elles parlent de topographie humaine. Certaines sculptures font apparaître un peu de liberté chaotique sur la fin, comme un éclat de roche avec une partie très brute à sa base. Mais même si mon travail révèle un aspect monolithe, je ne vais pas dans la dureté de la terre, dans la fusion, je reste dans le tendre.

J’ai des moments de vide, sans inspiration où je ne sais plus quoi dire, où je suis en période de transition. C’est inconfortable, mais c’est un temps nécessaire de maturation que j’ai fini par accepter. Ce temps où il ne se passe rien mais où tout se met en mouvement. Ensuite, lors du processus de création, il faut se laisser surprendre, façonner, structurer au fur et à mesure. Pour cela il faut être attentive à ce qui se passe autour de soi, regarder et s’étonner des choses les plus simples. J’ai besoin de me sentir en résonnance avec les formes que je crée. Tant que je ne ressens pas cette résonnance, j’ai du mal à terminer une pièce. Certaines sculptures peuvent avoir une part de chaos ou une forme simple. La forme simple devient méditative. La part de chaos retient, interpelle et amène à ralentir, à réfléchir.

La forme et la matière peuvent entrainer l’œil dans un magma, dans la pénombre, dans une encre. Et ce n’est pas de l’encre, c’est du carbone, ce n’est pas du magma c’est de la terre. Il est intéressant d’égarer l’œil de l’autre, de l’emmener à voyager au cœur de la matière, de l’égarer dans ses certitudes. J’éprouve ce besoin d’ancrer mes pièces comme un morceau de sol, un lieu d’où s’exprimeront les métamorphoses du temps par les traces, l’érosion, la pénombre, la vie interne, l’encre de la matière telle une plaque photosensible. J’ai toujours aimé la photographie en noir et blanc. Et j’ai toujours aimé ces photographes qui vous permettent d’accéder à leur chambre noire. On n’y voit absolument rien. Et progressivement, le temps que votre rétine s’habitue à l’obscurité, tout devient plus lumineux. Mes pièces sont une invitation à visiter cette chambre noire, pour une quête de lumière. Le noir efface tout artifice. Seules comptent la ligne, la forme et la lumière. Le noir invite à travailler les variations du noir. Des variations intéressantes. J’ai à cœur de travailler toutes les possibilités du monochrome.

La terre est une matière souple, qui a son élasticité, sa propre vitalité. Mais je ne peux pas me contenter seulement de la matière, même si elle est puissante. J’ai besoin de m’y inscrire, de laisser mon empreinte. La texture est mise en avant par des sillons gravés et ondulants à la surface, mais aussi d’une autre manière par des scarifications dans l’émail blanc mat avant la fusion, je recherche la vitalité du signe.

Il y a un corps à corps avec chaque pièce. Un corps à corps, mais pas une lutte, sinon on perd l’essentiel de la relation à sa pièce.  C’est un compagnonnage qui s’inscrit dans un temps céramique, géologique et émotionnel par des phases de modelage et de séchage, par strates d’actions et réactions. Il y a  la lenteur dans l’exécution. Et la fulgurance du défournement.

Tant qu’une pièce a sa part d’humidité, elle est vivante. Je peux encore la tracer, la lisser, la modifier. Quand elle sèche, elle se dématérialise en quelque sorte, elle est entre deux mondes. Elle s’incarne véritablement au moment de la cuisson. C’est à ce moment là qu’il s’agit de conjuguer la part de la maîtrise et celle de l’aléatoire. La part de la matière et celle de l’immatériel. J’orchestre la cuisson, mais il y a toujours quelque chose qui opère en dehors de moi, quelque chose qui m’échappe. La sculpture ne m’appartient plus et elle ne s’appartient plus. C’est un moment suspendu. Et ne pas être surprise par un résultat serait terrible. La cuisson conduit à un accomplissement, la pièce va créer sa propre histoire. Une histoire qui ne sera plus la mienne.

Je ne suis pas possessive avec mes pièces. Elles sont là pour partir. C’est le chemin parcouru qui est le plus important. Ce qui s’est passé entre moi et la terre. Après, elles doivent partir pour continuer à vivre.

Propos recueillis par Raynal Pellicer

 

Le Quatrième Tiers
Journal d’une rencontre
septembre 2016/ Brigitte Marionneau

www.le-quatrieme-tiers.com

galerie-de-l-ancienne-poste-couvRemettre en cause. Avancer toujours. Non dans l’éparpillement hâtif, mais lentement, en restant sur le fil, centrée dans son axe. Le travail de Brigitte Marionneau a cette qualité de désir et volonté mêlés d’aller toujours plus loin au devant de soi-même. Son parcours le révèle et ses ensembles de pièces ponctuent comme des bornes le cheminement de sa recherche artistique.

Il y a quelques années (2009), la découverte de la technique du crin de cheval lui ouvre l’horizon clair des stèles de sa série « Au bord du paysage ». Quittant l’imagerie de graines brunes et de champs colorés de l’opus intitulé « Le blé du cœur », ses céramiques y gagnent un élan d’abstraction vertical. Sur l’espace frontal de leurs hautes falaises, désormais couvertes d’un engobe blanc porcelaine, se déploie un jeu d’ombre et de lumière en de vives calligraphies qu’anime le souffle d’un geste unissant corps et terre.  S’y reflètent son goût pour la gravure et la photographie ainsi qu’une poursuite fervente d’équilibre.

Dans le prolongement de cette série, deux sculptures présentées dans l’exposition annoncent un changement : les nuées sombres de leurs cieux sont signes du passage d’une constellation à l’autre.

« Contenir le vent » amorce une autre direction. Plus ramassées, plus sculpturales, les œuvres récentes allient la force d’un nouveau champ esthétique à la permanence des principales sources nourrissant le travail de la céramiste : rapport au corps, souci de la forme, exploration du noir et blanc, mariage du matériel et de l’invisible.

Dans certaines  architectures, un noir lumineux de basalte ou d’ébène simplifie à l’extrême la lecture de la forme. Celle-ci en acquiert une intensité propre. Berceau ou tombeau miniature d’un dieu de l’antique Egypte, tête couchée de héros désormais oublié ou roche issue des tous premiers magmas ? Le mystère de ces volumes denses, refermés sur eux-mêmes, ne peut être rompu. Parce qu’elle est parcourue d’une vie en filigrane, leur entièreté opaque attire et séduit comme une énigme : de légers sillons – topographie humaine ou géographique ? – ondulent à la surface de cette peau-terre comme ondulaient les cheveux du couple du Baiser, donnant vie au monolithe de Brancusi. Le contraste des différents plans, alternativement lisses et texturés, contribue également à vivifier l’ensemble.

C’est la texture qui est mise en avant dans quelques pièces offrant un nouveau jour à des formes déjà explorées par Brigitte Marionneau. Inspirée par Henri Michaux ou Aire IV – 1960, une encre de Dubuffet, elle a scarifié un émail mat blanc avant la fusion : stries, griffures ou zébrures d’éclairs – répondant comme autant d’échos à la ligne brisée de la forme – animent la surface de leur vitalité de signes.

Un triptyque de trois blocs compacts d’aspect monumental malgré leurs dimensions (20 cm) rythme, lui, en trois temps, le passage alchimique du noir le plus profond à la lumière du blanc. Leur air solennel les change tout à tour en têtes casquées, temples ou bornes hiératiques.

Aussi sobre soit-elle, la ligne, dans le travail de Brigitte Marionneau, n’est jamais dure ni morte. Au contraire, d’une fermeté vibrante, un souffle la traverse, trahissant le désir constant de la céramiste d’élever la matière vers l’espace du ciel.

Les stèles à peine bombées de la série « Au bord du paysage », semblables à des pages blanches, étaient proches d’une expression en deux dimensions. Pour « Contenir le vent », la céramiste élabore un travail de construction précis : maquette d’argile,  multipliée par deux ou trois pour créer un patron en carton transcrit ensuite en terre à l’aide des techniques de plaque, de boulettes, d’assemblage.

Ce faisant, elle s’inscrit dans la lignée de ses aînés de La Borne que furent les Lerat, Yves Mohy ou Elisabeth Joulia avec qui elle aimait discuter : une démarche de sculpteur soucieux de mettre en valeur la matière, sans artifice, dans la tension de volumes dont la simplicité traduit une quête de l’essentiel.

Pascale Nobécourt
journaliste

Septembre 2016

Si Brigitte Marionneau parle d’un « travail avec l’idée de territoire, le paysage, la ligne d’horizon »  – à quoi s’ajoutent art et architecture –, il faut certainement entendre « travail » au sens d’enfantement : la création consiste à faire accéder au visible ce qui provient du « lointain intérieur » (Henri Michaux). Dans son Éloge de la main, le philosophe Jean-Philippe Pierron avance à ce propos que « le travail est un art d’être en prise avec les matières mobilisant son onirisme personnel[1] », ce « dépôt géologique » dont parle Brigitte Marionneau, où le monde s’est déposé, intériorisé, devenant singulier et propre à l’artiste.

Dans L’Œil et l’Esprit, Maurice Merleau-Ponty avançait que « le peintre doit être transpercé par l’univers et non vouloir le transpercer[2] ». Le labeur artistique est expérience médiumnique, qui fait remonter ce chaos d’images, de souvenirs et d’impressions des profondeurs de l’être jusque dans la matière. L’artiste n’exprime pas une idée, un propos, une conviction – mais ce qui l’habite et la traverse.

[1]   Éloge de la main. Comment le toucher soigne notre présence au monde, aux autres et à nous-mêmes, Arkhê, 2023, p. 18.

[2]   L’Œil et l’Esprit [1964], Gallimard, 1986, p. 31.

 

 

Cette façon d’habiter le monde, d’entretenir avec un lieu un véritable lien d’attachement charnel, émotionnel, d’y « fréquenter la beauté » ainsi que le chantait Jean-Louis Murat, relève de ce que le philosophe Renaud Garcia nomme le « vernaculaire », qui « maintient le lien des personnes à davantage qu’elles-mêmes : d’autres gens, des actes habituels à faire perdurer, des façons de faire et d’être en rapport avec des lieux, des êtres vivants, des paysages. Que l’on expose tout cela à la réduction économique, et les valeurs vernaculaires se chargeront d’une saine négativité : celle des gestes premiers, effectués par ces êtres « têtus et limpides » qu’évoque Giono […]. Ces gestes sources de toute joie face à la grisaille des abstractions mortes[1]. »

Ce lien, Brigitte Marionneau l’éprouve aussi par le corps et l’intuition dans le travail de la terre, « une matière vivante. On sent une relation avec la nature qui existe pour elle-même et a ses spécificités et caractéristiques propres : elle réagit à l’eau, à l’air, au feu. Le travail de la terre me relie aux éléments essentiels de la vie. » Pour cela même, l’expérience matérielle et spirituelle de la création est aussi expérience métaphysique des limites et de l’humilité que le monde assigne à la condition humaine : « Il faut accepter le temps céramique, atteindre un état subtil d’écoute et de disponibilité pour s’accorder mutuellement. Ce qu’on reçoit d’une œuvre céramique, c’est le temps. » 

La lenteur qu’implique nécessairement l’élaboration de l’œuvre appelle, à son tour, celle de la réception contemplative, rêveuse.

[1]   Le sens des limites. Contre l’abstraction capitaliste, Renaud Garcia, L’échappée, 2018, pp. 39-40.

D’un côté comme de l’autre, l’expérience y gagne sa profondeur, à rebours de l’incessante frénésie contemporaine d’images, de « données », de voyages, de marchandises… Là, sans mot, se joue une spiritualité matérialiste accueillant ce qui est, un amour de la vie en tant que force d’essor. C’est pour cela que nous écrivions tout à l’heure que l’art de Brigitte Marionneau paraît s’affirmer dans son propre effacement, comme faisant signe vers ce qui est plus grand que l’homme. C’est pour cela aussi que son art appartient à un contre-monde, relève d’une « connaissance par corps[1] », qui accorde sa pleine prérogative à l’expérience sensible comme intelligence du monde. Comme autant de poèmes de terre, ses sculptures invitent à habiter celui-ci pour mieux habiter la condition humaine même.

[1]   Éloge de la main, op. cit., p. 36.

Mikaël Faujour

Journaliste et critique d’art, membre de l’Association internationale des critiques d’art (AICA). Février 2024

 C O N T E N I R   L E   V E N T

Terre humide insufflée

Tirage d’attendri

Paroi d’inconnu

Capturé au crin blanc

Paquet luminescent du reflet

Montant à cru la partition de lumière

Facettant la bascule du plein

Lissant le marbre de l’éteint

Exhilarence du feu

Sur la peau tendue de l’humide

La terre exhale l’insu

Respire la flamme

Nervure le temps

Cisèle l’espace

Grisaille et rebat

L’intaille humide

Blancheur défoulée qui perce

Du dessous de l’invu

Terre battue d’éclats

Trait de braises au fracas du dehors

La chaleur s’accomplit dans la prise

Le temps est un glacis d’espace luisant

Le souffle retenu dans une passe

respire et se pose

Sous tend l’arrondi

Un aplat        Une nervure

Un écart

La tournure que ça prend

Ces arêtes vives

Cet affrontement de faces

Ce tournant de glaise

Cette volupté des matières

Cette incise féminine

Ici une fuite

Là une trouée

Prendre

Apprendre dans ses mains

Saisir le visage de l’ombre

Détenir la passe de l’instant

Tenir la jointure de l’insaisissable

Pascal VERRIER

Pour tenir tête chez moi à une sculpture céramique de Brigitte MARIONNEAU

 le 24 mai 2015

Souvenir du 16 mai chez elle à La Rongère  18220 Parassy  France

  L’ A R Ê T E   D U   V E N T

Elle

Dispense l’espace

Nervure du temps

Courbure du sensible

Sa caresse ronde

Intaille

Au surplomb fragile du désir

La matité du monde

Cette vigie à l’incise des formes

Engraine

L’arrondi de l’air

Pascal VERRIER

A la Galerie terres d’Aligre 5 rue de Prague 75012 Paris

du 14 septembre au 28 octobre 2018

Pour Brigitte Marionneau

ico

1958 Naît à Angers.
1980-1988 Élève de Masamichi Noro, Centre de Kinomichi Paris / Art corporel japonais
1983-1988 Étudie le Raku auprès de Camille Virot (France),pionnier dans ce domaine
1989

1990-2010

Installe son atelier en Région Centre entre Bourges et La Borne

Participe à l’organisation des rencontres internationales céramique de La Borne

1993 Invitée à un workshop céramique à la Northern Arizona University (USA)
1995 Voyage d’étude de trois semaines en Ethiopie, dans le cadre préparatoire des rencontres “Terres du Sud », La Borne 1996
1997 Invitée aux rencontres méditerranéenes au Centre national de céramique de Tunis (Tunisie)
1999-2006 Enseigne aux ateliers publics / atelier terre/ École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Bourges
2010 Membre de l’Association Céramique La Borne et partenaire du Centre céramique contemporaine La Borne
2011 Invitée, au workshop Gyeonggi International ceraMIX biennale, Icheon (Corée du Sud)
2016 Intervient comme professeur à la classe de maître Couleur céramique, l’Anse-Saint-Jean (Québec)
 

2018

2024

Intervient comme plasticienne au Workshop Terre à l’École spéciale d’architecture , Paris 14ème

Installe son atelier à Saint-Molf, en Loire-Atlantique, Bretagne Sud

Rejoint l’Association Ateliers d’Artistes, de la presqu’île de Guérande

Artiste  code APE 9003 A – URSSAF n° 748 7200630296

En permanence

Modern Shapes Gallery, Anvers, Belgique

Galerie Capazza, Nancay,

Galerie Arcanes, Paris

Galerie GaÏa, Nantes